Watteau.
Devers Paris, un soir dans la Campagne,
J’allais suivant l’ornière d’un chemin,
Seul avec moi, n’ayant d’autre compagne
Que ma douleur qui me donnait la main.
L’aspect des champs était sévère et morne,
En harmonie avec l’aspect des cieux,
Rien n’était vert sur la plaine sans borne
Hormis un parc planté d’arbres très vieux.
Je regardai bien longtemps par la grille ;
C’était un parc, dans le goût de Watteau :
Ormes fluets, ifs noirs, verte charmille,
Sentiers peignés et tirés au cordeau.
Je m’en allai l’âme triste et ravie ;
En regardant, j’avais compris cela :
Que j’étais près du rêve de ma vie,
Que mon bonheur était enfermé là.
Théophile Gautier.
Salammbô de Gustave Flaubert 1
Entré au Moniteur Universel en 1855, Gautier écrit l’éloge de Flaubert et de son roman Salammbô, dans le journal du 22 décembre 1862, récit qui a pour cadre les guerres entre Carthage et les Barbares employés lors des dernières guerres du IIIe siècle* :
« Depuis longtemps, on attendait avec une impatience bien légitime Salammbô, le nouveau roman de M. Gustave Flaubert ; mais l’auteur n’est pas de ceux qui se hâtent. Il n’abandonne une œuvre qu’au moment où il la croit parfaite, c’est-à-dire lorsque soins, veilles, corrections, remaniements, ne peuvent plus la perfectionner.
C’est une hardiesse périlleuse, après une œuvre réussie, de dérouter si complètement le public par son roman punique comme l’a fait M. Flaubert. Au lecteur qui voudrait peut-être du même, il verse dans une coupe de couleur locale un vin capiteux, puisé dans une autre amphore, à une époque où le sens du passé semble être perdu et où l’homme ne reconnaît l’homme que lorsqu’il est habillé à la dernière mode. Sans doute l’étude des réalités actuelles a son mérite, et l’auteur le Madame Bovary a montré qu’il savait aussi bien que pas un, dégager du milieu contemporain des figures douées d’une vie intérieure. Mais n’est-ce pas un beau rêve et bien fait pour tenter un artiste que celui de s’isoler de son temps et de reconstruire, à travers les siècles, une civilisation évanouie, un monde disparu ?... »
*Les guerres entre Romains et Carthaginois furent appelées guerres puniques.
Quel plaisir, moitié avec la science, moitié avec l’intuition, de relever ces ruines enterrées sous les écrasements des catastrophes, de les colorer, de les peupler, d’y faire jouer le soleil et la vie, et de se donner ce spectacle magnifique d’une résurrection complète !
D’ailleurs, en écrivant Salammbô, M. Gustave Flaubert, loin de sortir de sa nature, y est plutôt rentré. Madame Bovary ne fut, en quelque sorte, qu’un exercice laborieux que l’auteur s’était imposé pour mater son lyrisme, de même qu’on fatigue par des courses dans les terres labourées, les chevaux trop fougueux.
On ne saurait exiger de Salammbô, roman carthaginois, la peinture des passions modernes et la minutieuse étude de nos petits travers en habit noir et en paletot sac. Et cependant, la première impression que semble produire le livre de M. Gustave Flaubert sur la généralité des lecteurs, et même des critiques, est une surprise désappointée. Ils sont tentés de s’écrier : « Peut-on être Carthaginois ! »
On le peut, l’auteur de Salammbô le prouve, mais ce n’est pas aisé. Après bien des renaissances et des rechutes, Carthage a disparu, ne laissant que des ruines… »
La Revue des Deux Mondes, accueillera souvent les articles du Tarbais Théophile Gautier. Il faudra un procès intenté par son directeur à Gautier en 1852, pour mettre fin à leur collaboration. Dans le numéro du premier septembre 1847, Théo nous présente un article très original sur l’inventeur de la bande dessinée Tœpffer dans les années 1830: « L’auteur des Nouvelles genevoises, de Rosa et Gertrude, des Voyages en Zigzag était, comme chacun sait, maître de pension. Il renonce à la peinture à cause d’une faiblesse des yeux.
Venons au caractère de son dessin, tel qu’on peut le deviner d’après ses cahiers, faits pour charmer les loisirs des soirs d’hiver. Il trouve avec raison cette figure de soldat griffonnée par un écolier où les épaulettes, les boutons de l’uniforme… sont indiqués d’une manière presque hiéroglyphique, supérieure à ce guerrier romain ombré avec soin par un rapin (un apprenti peintre) au bout de deux ans d’atelier. Dans le charbonnage informe, l’idée du soldat éclate avec bien plus de force que l’idée de guerrier dans le dessin savamment fini. On voit qu’il a étudié avec beaucoup d’attention les petits bonshommes dont les gamins noircissent les murailles avec des lignes dignes de l’art étrusque pour la grandeur et la simplicité…
Nos doigts ont feuilleté et refeuilleté les albums comiques où, dans une suite de dessins au trait, il a déroulé les aventures de MM. Crépin, Jabot, Vieux-Bois, Cryptogame et autres personnages grotesques de son invention. Le grand Goethe daigna sourire aux fantaisies drolatiques du caricaturiste genevois, et ses petits cahiers lithographiés obtinrent un succès européen.
Il serait difficile de trouver en France des équivalents pour faire comprendre le talent de M. Töpffer comme dessinateur humoristique : ce n’est ni la finesse élégante de Gavarni, ni la puissance brutale de Daumier, ni l’exagération bouffonne de Cham, ni la charge triste de Traviès. Il a dû s’inspirer également des byzantins d’Epinal.
Les belles images d’Henriette et Damon, de Geneviève de Brabant… devaient à coup sûr, orner son cabinet de travail. Il en a appris l’art de rendre sa pensée, sans lui rien faire perdre de sa force, en quelques traits décisifs, dont la préoccupation des détails anatomiques et la vérité bourgeoise ne vient pas troubler une seule minute la hardiesse sereine… »
Dès 1843, Gautier écrit dans la Revue Le Cabinet de l'Amateur et de l'Antiquaire:
Les maisons sculptées modernes.
L’on va souvent bien loin pour voir des choses que l’on ne regarderait pas si elles étaient dans la rue où l’on demeure ; un voyage à Paris amènerait bien des découvertes et serait autrement curieux que celui du capitaine Ross au pôle arctique ; mais le gouvernement qui envoie des commissions en Afrique, en Chine, en Californie, n’aura jamais l’idée de faire partir des savants, des dessinateurs et des préparateurs d’anatomie pour le faubourg Saint-Germain ou la nouvelle Athènes.
L’autre jour, poussé par je ne sais quel caprice de locomotion, je sortis de chez moi à l’aide du moyen indiqué par Dante, en ne levant pas un pied de terre que l’autre ne fût posé ; un Anglais eût été tout droit manger des sandwichs sur le sommet de l’Himalaya, ou prendre du thé dans le tombeau de Khéops. Moi, plus audacieux, je m’engageais hardiment dans la rue de Laval, une rue fantastique, aussi peu fréquentée que le détroit de Béring, peut-être moins, car l’on n’a pas pour y aller le prétexte de la pêche à la baleine ; et là, je trouvai un monument qui serait décrit et dessiné avec beaucoup de soin, s’il était noir, écorné et bizarre ; c’est tout bonnement un atelier de peintre dont la façade, arrangée dans le goût de la renaissance, est orné de délicieuses sculptures, non de ces applications de carton peint ou de papier mâché qui enjolivent les cafés, mais de sculptures fines et franches, précieusement fouillées dans la pierre vive, d’un caprice et d’un goût charmants : la principale est une espèce de bordure qui entoure la verrière d’où l’atelier tire son jour ; le motif en est plein de grâce et de naïveté ; c’est la vie d’un oiseau ; un vrai petit poème de pierre.
A travers les volutes d’une riche arabesque de feuillage se développent toutes les phrases de cette existence aérienne : les chants, les amours, la construction du nid, la couvée, la becquée, ; chaque enroulement du rameau forme le cadre d’une de ces jolies scènes ; les périls qui menacent l’oiseau n’y sont pas oubliés ; sous les larges feuilles se cache le serpent, dont l’œil immobile fascine ; l’écureuil gourmand ; le lézard alerte ; s’accrochent de leurs griffes aux rugosités de l’écorce pour aller sucer les œufs attiédis : le milan plane là-haut, ennemi plus noble, mais tout aussi impitoyable. On ne saurait trop louer la souplesse et la liberté de ciseau avec lesquelles sont rendues les branches, les feuillages qui rappellent le grand style de la guirlande eucharistique du peintre Saint-Jean...Théophile Gautier, Le Cabinet de l’Amateur et de l’antiquaire, 1845.
En mars 1833, Théophile Gautier commente les salons de peinture dans le périodique La France Littéraire. L’année suivante, l’écrivain propose aux lecteurs Les Grotesques, une série de portraits d’écrivains oubliés comme François Villon, Théophile de Viau.... On retrouve Les Grotesques également dans Le Cabinet de Lecture en 1844. Voici comment Gautier présente ses articles :
« Nous avons modelé une dizaine de médaillons littéraires, plus ou moins grotesques ; la mine est loin d’être épuisée, nous aurions pu augmenter aisément cette galerie et suspendre d’autres portraits à côté de ceux déjà tracés. Certainement cette collection de têtes grimaçantes n’est pas complète pour couvrir toutes les difformités littéraires, toutes les déviations poétiques… Nous avons choisi çà et là, quelques types qui nous ont paru amusants ou singuliers, tombés dans l’oubli, et d’où personne ne s’avisera de les retirer… En France, les admirations et les mépris sont toujours excessifs. Tout écrivain est un dieu ou un âne… »
Dans son second papier, Théophile Gautier nous fait découvrir… Scalion de Virbluneau : « Ami lecteur, avez-vous jamais ouï parler de M. Scalion de Virbluneau, sieur d’Ofayel ? Je parierai mes deux oreilles contre une bouteille de vin de Xérès authentique que vous ne vous doutiez même pas de son existence. C’est un bonheur qui n’est point donné à tout le monde, que de connaître M. Scalion de Virbluneau. Ce bonheur, je l’ai, moi qui vous parle. Scalion de Virbluneau est à moi ; c’est mon bien, c’est ma propriété, c’est ma chose, mon Amérique découverte.C’est mon mort, je le couve des yeux. Que personne n’y touche ou je crie.
Moi, hyène littéraire, je l’ai flairé et deviné à l’odeur qu’il exhalait sous une triple couche de bouquins insignifiants ; j’ai tant gratté avec mes pattes de devant et dederrière, que je suis parvenu à le déblayer. Ce n’était pas une petite opération. Pauvre Scalion, tu as bien manqué de rester à tout jamais dans la poudreuse obscurité où tu croupissais chez un ignoble bouquiniste… Par un accident très rare, j’avais ce jour-là de l’argent sur moi, et moyennant vingt sous donnés au gardien de cette nécropole intellectuelle, j’ai emporté mon Scalion. A la première page s’élève pompeusement un frontispice d’architecture entendue dans le goût de la Renaissance qui serait admirable pour quelque obscur traité de théologie… Pourtant, le livre de Virbluneau n’est pas une dissertation scolastique, bien au contraire, et toute cette construction symbolique sert de cadre à une légende : Les loyales et pudiques Amours de Scalion de Virbluneau à Madame de Boufflers, 1599. C’est qu’au XVIe siècle l’amour ressemblait, à s’y méprendre, à la théologie. C’est la même métaphysique embrouillée, le même fatras scientifique, la même symétrie de pensées et de formes. L’amour argumente comme un docteur de Sorbonne ; il ergote, il sophistique, il divise et subdivise la plus petite fraction de pensée… C’est quelque chose d’inextricablement tortillé, d’excessivement pointu et tiré aux cheveux, que l’on ne connaît guère maintenant..»
Gautier va diriger un temps la revue de théâtre L’Entracte, en 1864. Il se rend à nouveau en Espagne puis en Suisse, d’août à octobre.
En janvier 1865, Gautier publie un recueil de voyages : Loin de Paris, tout en continuant ses articles sur les spectacles et la peinture au Moniteur Universel.
Le Moniteur Universel, 9 juillet 1865 – Salon de 1865 – Peinture – Mr Gustave Moreau : «Œdipe et le Sphinx, dont le succès fut si vif au salon précédent, a fait à Mr Gustave Moreau, une position difficile pour cette année. L’étrangeté mystérieuse de l’œuvre, la brusque révélation d’un talent qu’on n’avait pas remarqué jusque-là, tout contribua à donner la vogue à ce tableau…
Cette année, Mr Gustave Moreau arrive avec deux cadres de forme étroite et haute. L’un a pour titre Jason. Jason, grâce à Médée, dont il a su conquérir le cœur, a bravé les enchantements qui défendaient la Toison d’Or et il emporte orgueilleusement, avec son trophée, la magicienne elle-même.
L’action choisie par l’artiste n’est pas clairement rendue dans son tableau. Mr Auguste Moreau aime les compositions énigmatiques ; au centre de la toile, pose immobile Jason, le torse nu, ayant à ses pieds un monstre mort, sorte de griffon au bec et aux plumes d’aigle ; derrière lui, on aperçoit Médée qui regarde devant elle avec de grands yeux, et rappelle plutôt par son type, une châtelaine du moyen-âge qu’une barbare princesse. Mr Gustave Moreau aime assez les anachronismes de physionomies. Ils sont quelquefois assez piquants, mais il ne faut pas en abuser… »
Dès le 28 juillet 1830, Théophile Gautier fait imprimer un recueil de poésies. Mais la révolution qui se produit alors (les Trois Glorieuses) éclipsera cette publication.
Premier sourire du printemps
Tandis qu’à leurs œuvres perverses
Les hommes courent haletants,
Mars qui rit, malgré les averses,
Prépare en secret le printemps.
Pour les petites pâquerettes,
Sournoisement lorsque tout dort,
Il repasse des collerettes
Et cisèle des boutons d’or.
Dans le verger et dans la vigne,
Il s’en va, furtif perruquier,
Avec une houppe de cygne,
Poudrer à frimas l’amandier.
La nature au lit se repose ;
Lui, descend au jardin désert
Et lace les boutons de rose
Dans leur corset de velours vert.
Tout en composant des solfèges,
Qu’aux merles il siffle à mi-voix,
Il sème aux prés les perce-neiges
Et les violettes des bois.
Sur le cresson de la fontaine
Où le cerf boit, l’oreille au guet,
De sa main cachée il égrène
Les grelots d’argent du muguet.
Sous l’herbe, pour que la cueilles,
Il met la fraise ai teint vermeil
Et te tresse un chapeau de feuilles
Pour te garantir du soleil.
Puis, lorsque sa besogne est faite,
Et que son règne va finir,
Au seuil d’avril tournant la tête,
Il dit : « Printemps, tu peux venir ! »
Théophile Gautier,Emaux et Camées, 1858.
Profitant de ses articles sur l'art, Théo propose parfois une critique de certains aspect de la société.
Théophile Gautier et les animaux
Dans son ouvrage « Les Jeunes France », paru en 1833, Théophile Gautier déclare : « Je partage les avis des Orientaux : il faut être chien ou Français pour courir les rues quand on peut rester assis bien à son aise chez soi. N’était la circoncision, je me ferais Turc ; je serais, certes, un excellent pacha … Les pachas aiment les tigres, moi j’aime les chats : les chats sont les tigres des pauvres diables… »
Devenu journaliste mieux payé au Moniteur Universel, recruté sur les conseils du ministre Achille-Fould, Gautier qui avait déjà critiqué le sort réservé aux ânes, en Algérie, criblés de coups de bâtons, revient sur le sort des animaux dans son article du Moniteur, le 14 juin 1855, avant une analyse de la peinture anglaise :
« Exposition universelle de 1855 – Peinture et sculpture VIII – MM. Landseer, Cooper, Lance. Les animaux qui meublent avec nous le globe terrestre – Nous ne parlons pas au point de vue de l’histoire naturelle, mais au point de vue de la philosophie – sont dignes de l’attention sympathique de l’observateur ; ils portent en eux un mystère incompréhensible que leur silence permet d’interpréter de mille façons, sans espérer pourtant qu’il soit jamais pénétré.
Descartes les considère comme de pures machines ; le père Bougeant croit qu’ils servent de prison aux esprits déchus qui ne se prononcèrent pas pour l’Eternel. Nous ne partageons ni l’une ni l’autre de ces deux opinions. Il est difficile d’adopter la première quand on a vécu dans la familiarité d’un cheval, d’un chien ou d’un chat ; la seconde est une de ces rêveries qu’on ne saurait discuter sérieusement et dont on sourit…
...Parmi les animaux que nous avons ralliés et domestiqués, quelle douceur patiente ! Quelle résignation courageuse ! Quelle intelligence attentive ! Comme ils s’associent à nos travaux de tout leur cœur et de toutes leurs forces ! Comme ils tâchent de deviner ce qu’on exige d’eux, et quel œil plein d’interrogations ils lèvent vers leur maître quand ils hésitent et ne savent plus ! Et pour ce loyal concours, quelle récompense leur est réservée ? Une nourriture parcimonieuse, des coups de fouet ou d’aiguillon ; puis, quand la vieillesse est venue, accélérée par des fatigues excessives, le couteau du boucher, le marteau de l’équarisseur, le crochet du chiffonnier.
Un destin si dur, et tant d’innocence ! Une passivité si touchante, et de si cruels supplices ! Quelle faute originelle expie le cheval de fiacre ? Quelle herbe défendue a broutée dans l’Eden le bœuf de labour, ou le pauvre âne roué de coups et dont les jambes grêles flageolent sous une charge énorme ?
Les animaux ne sont-ils pas pour l’homme d’humbles frères, des amis d’un ordre inférieur, suivant avec une placidité attendrissante la ligne qui leur a été tracée depuis le commencement du monde ? Battre un animal est une action impie et barbare, comme battre un enfant. Le Moyen-âge, dans ses ténèbres a eu presque peur des animaux dont les yeux, pleins de questions muettes lui paraissaient illuminés d’une malice démoniaque ; il les a parfois accusés de sorcellerie et les a brûlés comme des hommes. Ce sera une des gloires de la civilisation d’avoir amélioré la condition des bêtes…
Les Anglais nous ont depuis longtemps précédés dans cette voie. Son existence moins distraite et moins extérieure que la nôtre, son home rigoureusement fermé, lui rendent nécessaire la société de ces compagnons silencieux…
Nous avons fait la remarque qu’on ne rencontrait guère de tableau, à la galerie anglaise de l’Exposition universelle, où un chien ne jouât son rôle… Landseer donne à ses chers animaux l’âme, la pensée, la poésie, la passion. Ce qui l’inquiète ce n’est pas l’exactitude anatomique, c’est l’esprit même de la bête. A quoi songe e mouton qui rumine, le cerf levant vers le ciel son mufle noir et lustré ? Landseer vous le raconte en quatre coups de pinceau… »
Le sort réservé aux animaux de compagnie a sensiblement évolué, mais la vie sauvage reste trop souvent victime d’une humanité impitoyable qui ne voit dans la planète et ses habitants qu’une source infinie de profits.
Théo et la photographie!
La photographie
C’est au cours du mois de mai 1840 que notre Tarbais, au cours de son premier voyage en Espagne, va approfondir sa connaissance de la photographie. Fin 1839, le premier daguerréotype est mis en vente. Il deviendra assez rapidement l’allié du voyageur.
Eugène Piot, le compagnon de voyage de Théo en achète un. Gautier souligne la bizarrerie de cet appareil que les douaniers espagnols prennent pour une machine électrique et qui provoquera des attroupements à Burgos. Le gouverneur de la ville les promènera « comme des ours blancs en tête de toute la population qui suit l’appareil comme la septième merveille du monde ».
Les performances du daguerréotype restent assez limitées. Il est peu maniable, son bon fonctionnement dépend du temps car un très long moment de pause est nécessaire. Il peut, dans le meilleur des cas, rendre les variations de la lumière. Gautier déclare : « Vingt minutes de soleil à travers les ondées de pluie de Burgos nous avaient permis de reproduire les deux flèches de la cathédrale avec un morceau du portail. Cependant, à peine quittée la ville, un accident de voiture envoie dans un champ la boîte diabolique. »
Ayant abandonné le journal La Presse au profit du Moniteur Universel, en 1855, Théophile Gautier devient directeur de la revue L’Artiste. C’est dans cette publication que le Tarbais nous livre ses impressions sur l’exposition photographique de mars 1857 qui se tient à Paris :
« Les découvertes qu’on eût traitées de rêves et de chimères, si l’on était venu les proposer brusquement avant l’expérience, semblent bientôt toutes naturelles, et l’esprit humain s’y fait tout de suite avec une facilité singulière…
La première moitié de ce siècle, qu’on affecte de dédaigner et qui, dans les arts et dans les sciences comptera pour l’humanité, a réalisé d’étonnantes merveilles : la vapeur sur terre et sur mer, le gaz, la télégraphie et l’éclairage électrique, la galvanoplastie, le daguerréotype…
La photographie, accueillie d’abord avec enthousiasme, a soulevé, comme toute invention, une multitude de critiques… »
. Des esprits, bien intentionnés sans doute, ont voulu voir dans cette admirable découverte un péril pour l’art : ils ont craint que la main humaine devint malhabile, sachant qu’une machine était là qui travaillerait pour elle.
Cette crainte n’a rien de fondé et nous le démontreront tout à l’heure. La photographie d’ailleurs, n’est pas, comme on le croit communément, une simple opération chimique. Tout ce qui touche l’homme reçoit son empreinte ; l’âme y est visible par quelques rayons : dans une exposition composée d’épreuves héliographiques venant de divers pays, les nationalités se reconnaissent aisément ; la photographie anglaise, par exemple, ressemble aux tableaux et aux gravures d’origine britannique ; la nature y prend quelque chose de propre, de net, de lustré, de soyeux, d’élégant et de fashionable qui saisit les yeux les moins attentifs.
Vous voyez des animaux, vous les croyez faits d’après Landseer ; les paysages rappellent Constable, Turner…Vous direz sans doute que ce caractère tient au pays, à la nature des objets présentés, et qu’il n’y a rien d’étonnant après tout à ce que la reproduction d’un site ou d’un individu d’Angleterre ait le cachet anglais ; mais cette physionomie persiste, même lorsque l’épreuve est faite en Egypte ou en Grèce d’après des types tout différents. Les photographes d’Albion ont une manière de poser leurs modèles, de distribuer leurs lumières, de prendre leurs points de vue, qu’on ne saurait méconnaître…
Les Allemands, au contraire, font de la photographie intime et pleine de bonhomie, comme un roman d’Auguste Lafontaine ; ils ont une sentimentalité gauche, une naïveté souabe, un soin de ménagère et une propreté minutieuse ; ils mettent des figures inspirées dans des intérieurs pleins d’ustensiles domestiques… La couleur leur fait défaut, et leurs épreuves ont en général la pâleur douce des cartons au fusain…
Les fêtes de fin d’année sont propices à la création photographique : sapin, famille, repas, réveillon… On est heureux de retrouver plus tard ces souvenirs des bons moments, fixés sur papier ou CD, quand réapparaîtront les augmentations d’impôts, de taxes, d’autoroute, d’assurance... A quel moment la photographie a-t-elle vue le jour ?
Même si Niépce mit au point un procédé de captation d’images, celles-ci disparaissaient souvent rapidement à la lumière et nécessitaient plusieurs jours de pause !
C’est le Français Daguerre qui trouve un procédé nouveau de prise de vue, en 1835, qu’il améliore et présente en 1839. Le daguerréotype sera commercialisé la même année !
Théophile Gautier nous décrit, dans la revue l’Artiste, du 8 mars 1857, le contenu d’une exposition photo. Il nous assure que les œuvres diffèrent d’un pays à l’autre :
« L’individualité règne chez les Français ; chacun agit d’après son idée particulière : la même diversité de genre se retrouve à l’exposition photographique qu’au Salon. Il y a parmi les photographes français les dessinateurs et les coloristes : ceux-là arrêtent leurs contours, découpent nettement leurs silhouettes, n’admettent que des teintes blanches ou grises ; ceux-ci noient le bord des objets, concentrent leurs lumières, épaississent leurs ombres, réchauffent leurs tons, veloutent leurs noirs, et savent culotter le travail du soleil comme une vieille eau-forte de Rembrandt, estompée sur papier jaune. Chaque photographe en renom a son cachet…
Cela tient aux objectifs, aux agents chimiques, à l’albumine ou au collodion, au lavage, au papier ciré ou à la plaque de verre, au temps qu’il faisait, au nombre de minutes ou de secondes de l’exposition, à la couleur, à la nature, au plus ou moins d’immobilité du modèle…
Les portraits de Nadar, par exemple, n’ont-ils pas un caractère tout particulier que n’offre pas le même modèle traité par un autre daguerréotypeur non moins exercé ?
On voit dans l’exposition photographique une épreuve obtenue dès 1827 par Niépce de Saint-Victor, d’après une vieille gravure, une vue des Tuileries sur plaque argentée par Daguerre. Ensuite, viennent les épreuves de M. Talbot, datées de 1840… »
Brouillon d'un article de Théophile Gautier sur le peintre Boillotat, mort dans le fleur de l'âge. Une exposition sur son œuvre est mise en place.
"Cette exposition dont la durée sera malheureusement trop courte n'est pas une apothéose à la gloire du jeune artiste mort si tôt, mais plutôt un acte de notoriété. Il a passé si vite que le public a eu à peine le temps de le voir et de saluer son génie d'une exclamation..."
Théophile Gautier et la peinture
Libre aux penseurs qui ne savent pas faire une main d'exalter l'idée!
L’Artiste, 6 septembre 1857 – Salon de 1857 – Théophile Gautier. MM. Meissonier, Fauvelet…
« Mr Meissonier est peut-être, de tous nos artistes, celui qui reste le plus exactement renfermé dans les conditions de ce qu’on entendait, autrefois, par le mot peinture. L’art est en travail aujourd’hui et subit de singulières modifications. Les idées littéraires, critiques, musicales même l’envahissent : toutes sortes d’intentions bizarres dont les anciens peintres ne se préoccupaient nullement se traduisent dans la plupart des tableaux d’une façon évidente.
Les toiles philosophent, les livres peignent, les couleurs ont leur symphonistes ; il y a échange et confusion de procédés. Les motifs sont transportés d’un art à l’autre avec une habileté extrême ; tout cela produit des œuvres curieuses, d’un raffinement étrange, comme il en faut à un siècle qui depuis longtemps n’est plus naïf. Nous ne blâmons pas, nous constatons.
La musique se fait descriptive, la peinture littéraire, la poésie pittoresque ; chaque art semble chercher chez le voisin de quoi réveiller l’attention blasée. Les genres, en outre, se confondent : les petits sujets prennent les proportions de l’histoire, les grands s’amoindrissent, et si l’on peint des héros sur une toile de chevalet, en revanche, les chevaux de charrette tirent leur fardeau dans une toile de vingt pieds (1 pied = 30 cm).
Certes, il n’existe aucun rapport entre Mr Meissonier et Mr Ingres. Ils ont cependant cette ressemblance d’être tous deux des peintres absolus. Mr Ingres représente le grand art romain et florentin, Mr Meissonier l’art hollandais et flamand. Tous deux en des genres bien éloignés sont des maîtres, quelque jugement que l’on porte sur eux, qu’ils plaisent ou déplaisent, ou qu’on leur préfère d’autres artistes plus palpitants d’actualité ; leurs œuvres atteignent régulièrement des prix très élevés, comme si la postérité avait déjà commencé pour eux.
Mr Ingres a parcouru une longue carrière ; Mr Meissonier est tout jeune encore, mais depuis ses débuts, pour ainsi dire, il a pleine possession de son art. Il peut ce qu’il veut ; et que veut-il ? Peindre excellemment sur des panneaux grands comme la main une figure ou deux, trois au plus, qui ne font autre chose que vivre, occupés à quelque action peu dramatique…
Ces motifs simples ont suffi jusqu’à présent à l’œuvre de l’artiste et lui suffiront longtemps encore. Les Flandres et la Hollande n’en ont pas eu d’autres pendant des siècles pour valoriser des générations de peintres.
Sans doute il est dans l’art des thèmes plus élevés ; mais il n’en faut pas davantage lorsqu’on est ce que jadis on appelait un maître. Libre aux penseurs qui dessinent mal et ne savent pas faire une main d’exalter l’idée.
Cette année, Mr Meissonier a exposé un tableau intitulé la confidence. Dans le petit salon d’un cabaret du temps, deux hommes en costume du XVIIIe siècle sont assis de chaque côté d’une table ; l’on est à la fin du dessert… Quelques fruits épargnés par la dent, une pêche rougissant sur la feuille de vigne, garnissent encore les assiettes ravagées. C’est le moment des confidences. L’un des convives, un adolescent, lit à son compagnon expérimenté une lettre d’amour, la première sans doute qu’il ait reçue… »
Dans sa lettre au marchand de tableaux HARO, Théophile Gautier, malade, lui demande d'envoyer au Salon un de ses employés pour vernir le tableau d'un ami peintre italien ...
"Je suis toujours par terre sur mon matelas avec ma douleur au genou... Pourriez-vous envoyer un de vos hommes vernir le tableau d'un peintre italien dont je suis le correspondant... Il se nomme Angelo Bachetto..."
Critique d’art au quotidien la Presse d’Emile de Girardin, depuis 1837, Gautier nous livre également cet article sur les théâtres, du 13 janvier 1841 : « Feuilleton de la Presse- Théâtre du Vaudeville- Le Tailleur de la Cité, vaudeville en deux actes de MM. Xavier, Masson et Laffitte. » Le tailleur de la Cité », c’est Arnal en train de se faire un habit à lui-même ; mais selon le proverbe « il n’y a personne de plus mal chaussé que les cordonniers », Arnal a manqué sa coupe : les manches sont trop étroites ; Arnal est moins excusable que tout autre, car il a trouvé un cri pathétique, que reflètent en chœur tous les peuples modernes et qui résume si heureusement les souffrances de la jeune génération : « Dieu ! Que mes entournures me gênent ! » Comment, sublime Arnal, vous êtes-vous infligé le supplice dont vous connaissez si bien toute l’atrocité ? A cela Arnal répondra qu’à côté de son établi s’épanouit, fraîchement penché sur sa couture, un charmant visage de jeune fille, que les ciseaux tremblent quand le cœur bat… La grande affaire pour Arnal est de faire une déclaration d’amour à Mlle Ennely, la jeune ouvrière… Cette pièce a réussi grâce au jeu d’Arnal, très comique dans le rôle de Daniel…
Une nouvelle plus importante, à coup sûr, c’est le rétablissement de Monrose qui a fait sa rentrée aux Français : l’accueil a été cordial et touchant ; car après Monrose, adieu les valets de Molière, adieu l’étincelante répartie… car bien que Monrose fut vivant, son esprit flottait dans cette sombre mer de la folie et du néant où l’âme peut sombrer sans entraîner le corps. Effrayant phénomène !... »
Dans cette chronique, le malaise des jeunes romantiques est soulevé et cette histoire d’amour d’un tailleur et d’une ouvrière, montre le changement qui s’opère au théâtre, dans le choix des héros et des thèmes. Quoi de plus romantique également que cet acteur, touché par la folie et qui remonte sur les planches ?
Maintenant il nous restait à faire, pour être tout-à-fait au courant, l’analyse de l’Hospitalité et du Dernier vœu de l’Empereur, pièces représentées samedi, jour où devait ouvrir la Renaissance. Par une de ces triplicités habituelles aux directeurs pour mettre la critique en défaut, « Il y avait une fois un Roi et une Reine, l’Hospitalité, et le Dernier Vœu de l’Empereur » se donnaient le même soir, et comme à moins d’être la Trinité, on ne peut pas être en trois endroits à la fois, nous avions opté pour la Renaissance ; or, vous savez que la censure trouvant très subversif à cinq heures du soir ce qui lui avait paru sans danger le matin, a supprimé sans plus de façon « Il y avait une fois un Roi et une Reine », et de cette manière, nous n’avons été à aucune des trois représentations. Cela aura toujours fait gagner deux mille francs aux cochers de fiacre…
La chambre des députés n'est pas un monument qui nous réjouisse beaucoup!
« Il n’y a de beau que ce qui ne peut servir à rien ; tout ce qui est utile est laid … » déclare Théophile Gautier dans sa préface de l’ouvrage Mlle de Maupin, en 1835.
La carrière journalistique du Tarbais le conduit à la profession de critique musical et théâtral mais il donne également son avis sur l’architecture dans la Revue des Deux Mondes du 1er septembre 1841 : « Revue des arts – A aucune époque, l’on ne s’est plus activement occupé de l’embellissement de Paris, qui certes en a besoin ; car, il faut l’avouer, Paris qui est devenu la Rome moderne, l’œil et le cerveau de l’univers, ne répond pas encore, sous le côté monumental, à cette haute position intellectuelle. A part cinq ou six grands édifices, plus vastes que curieux, plus riches que parfaits, l’architecture y est médiocre… Paris, relativement à sa grandeur et à son importance, possède peu de sculptures publiques, peu de fontaines monumentales, peu de façades remarquables. Ses splendeurs sont plutôt intimes qu’extérieures, et il serait difficile pour l’étranger de soupçonner que ces maisons si nues et si mesquines d’aspect renferment des appartements où sont réunies toutes les recherches du luxe, du confort et des arts. Les églises sont d’une pauvreté honteuse, les fontaines n’ont d’autre mérite que de verser de l’eau, et pas toujours encore ; les monuments publics manquent pour la plupart de sculptures et de statues…
Il s’agit donc plutôt d’orner et d’achever que de poser au hasard les fondements problématiques d’édifices qui ne se terminent jamais et dont les ruines neuves et les échafaudages vermoulus donnent à la ville l’air d’une Carthage en construction. Jusqu’ici cela a été un peu notre défaut, de nous jeter à corps perdu dans toutes sortes de bâtisses bientôt abandonnées. Nous sommes enfin guéris de cette maladie ; aujourd’hui l’on achève et l’on restaure. Tout ce qui semblait interminable est arrivé à fin : l’arc- de –triomphe, le palais du quai d’Orsay, les palais des Beaux-arts, la Madeleine, l’Hôtel-de-Ville, la colonne de Juillet…
La chambre des députés n’est pas un monument qui nous réjouisse beaucoup en lui-même, ni par son extérieur, ni par son intérieur. C’est du grec maussade et mal compris, du classique et non de l’antique… Les deux ailes, aveugles et sans autre ornement que deux bas-reliefs, offusquent l’œil par leur nudité ; mais comme il n’y a malheureusement pas à revenir là-dessus, laissons la chambre des députés telle qu’elle est, et parlons du fronton de M. Cortot.
La forme triangulaire, forme fatale et nécessaire du fronton grec, est assurément une des plus défavorables au statuaire. L’extrême abaissement des lignes vers les angles ne lui permet, aux extrémités, que des figures assises, agenouillées ou couchées dans des positions les plus satrapées du monde… M. Cortot est assurément un homme de mérite et de savoir ; sans briller au premier rang, il tient une place honorable. Il n’a pas de grands défauts, mais il manque de grandes qualités. Son ordonnance est sage, mais n’a rien qui saisisse. Son anatomie est correcte, son dessin juste, mais sans grandeur de style… Son fronton est une œuvre consciencieuse, convenable… Personne ne sera choqué, mais personne non plus n’admirera…
Ainsi donc M. Cortot, ayant à décorer un monument d’architecture grecque, a bien fait d’en accepter les conséquences, et de ne pas s’écarter des traditions de la statuaire antique ; seulement il faudrait, pour compléter l’illustration, obliger nos législateurs modernes à revêtir la tunique et la toge… En résumé, un autre statuaire aurait pu mettre plus de talent dans cette grande page sculpturale… »