A partir de 1833, le magazine La France littéraire demande à Théophile Gautier de publier des commentaires sur les salons artistiques du moment. Dès le 7 février 1834, Omphale ou la Tapisserie amoureuse, nouvelle fantastique, s’offre au public dans Le Journal des Gens du Monde. Le directeur du périodique Le Monde dramatique propose à l’auteur, à compter du 23 mai 1835, d’écrire une série de critiques théâtrales, puis Gautier dirige un moment avec Lassailly, Ariel Journal du Monde élégant. Son ouvrage « La Morte amoureuse », est imprimé dans La Chronique de Paris en juin 1836 et Le Figaro présente son « Eldorado » en feuilleton de mai à juillet 1837. De nombreuses œuvres paraissent avant le livre dans différentes revues et cela permet à Gautier comme à plusieurs écrivains de se faire connaître tout en s’assurant un revenu régulier de journaliste.
La collaboration entre Théophile Gautier et Émile de Girardin débute dans La Presse en cette même année 1837. Elle se poursuivra jusqu’en 1855. Jetons un coup d’œil sur la contribution parfois musclée de Gautier dans le quotidien La Presse, comme celle du 2 janvier 1841 : « L’Académie royale de Musique se pique vraiment de ponctualité : malgré une atmosphère de neige, d’enrouements, de rhumes et de maux de gorge, qui fait le désespoir des directeurs de théâtres lyriques, dont les recettes dépendent des variations du baromètre, le début de Catinka Heinefetter a eu lieu au jour fixé. Commençons par le portrait physique de Mlle Catinka Heinefetter.
Aujourd'hui l'on n’attache pas une grande importance à la beauté des actrices et l’on préfère en général une laideron sans grâce ni tournure qui possède quelque note glapissante ou caverneuse, au haut ou au bas de l’échelle des sons, à la plus charmante personne du monde dont le registre vocal est un peu moins étendu. Heureusement, nous ne sommes pas assez musicien pour cela, et nous aimerons toujours mieux, dût-on nous appeler matérialiste, sensualiste, amateur de plastique et de statuaire grecque, Mlle Grisi… que… beaucoup d’autres dames dont nous tairons le nom par galanterie, et qui chantent dit-on, mieux qu’elle… Quant à la voix, elle est grande, étendue, remarquable, surtout dans les cordes hautes et les cordes basses ; le médium est moins satisfaisant, et c’est de ce côté que Mlle Heinefetter doit porter tout son travail et toute son étude… et Mlle Heinefetter, dont la voix est, dit-on, fort capricieuse et journalière, doit cultiver ce registre avec le plus grand soin…
M. Marié, qui n’avait pas voulu retarder la représentation, a chanté le rôle d’Eléazar quoique fort enrhumé, et ses efforts ont été souvent heureux.
Quant à M. Altayrac, nous n’en dirons rien, sinon qu’il a trouvé moyen de faire regretter M. Alexis Dupont, tour de force que nous avions cru impossible jusqu’à présent.
Maintenant que les affaires sérieuses sont réglées, passons au divertissement : les débuts de M. Achille Henri. Nous n’avons jamais vu de bouffonnerie plus transcendante ; un rire énorme, un rire homérique secouait sur leurs stalles tous les spectateurs… Figurez-vous un gros garçon monstrueux, avec un torse en sac de noix, des mollets de Suisse de paroisse, des bras à casser le dynamomètre de Tivoli ; un cou de taureau surmonté d’une petite tête grosse comme le poing… Il nous paru tortillé et prétentieux… Nous sommes vraiment étonnés que l’on ait laissé débuter une pareille nullité…
Concert Liszt
Feuilleton de la Presse du 22 avril 1844 par Théophile Gautier : « Frantz Liszt a donné l’autre jour son concert au théâtre Italien. Ce concert se composait de sept morceaux de piano, joués par lui, Frantz Liszt, tout seul. La salle était comble ; les spectateurs, pressés sur la scène, ne laissaient que la place nécessaire pour l’exécutant et ses deux pianos. Il y en avait deux car Liszt a souvent des pianos tués sous lui. Sept morceaux de piano ! Tout secs, sans accompagnement d’orchestre ! Cela semble une folie, une gageure impossible à tenir ! Eh bien ! Disons-le tout de suite, ce concert a paru trop court, bien que deux morceaux aient été bissés. Ce prodige, qui n’était pas encore arrivé, Frantz Liszt, avec cette audace qui le caractérise, va le répéter deux fois encore.
Il faut que ce diable d’homme ait la musique au corps pour produire un semblable effet à Paris où tout le monde l’a vu à l’état de petite merveille avec un col blanc rabattu, exhaussé par des partitions pour atteindre le clavier ! C’est que Liszt est un véritable artiste dans la force du terme. L’on s’est beaucoup moqué de ses longs cheveux, de sa figure de personnage d’Hoffmann, de ses regards extatiques, de ses gestes convulsifs, de ses mouvements de démoniaque ; sa petite redingote noire et son sabre hongrois ont été le sujet de plaisanteries plus ou moins insipides. Quant à nous, il nous semble qu’un artiste ne doit pas et ne peut pas avoir l’air d’un fabriquant de chandelles ; ses goûts, ses mœurs, ses pensées impriment nécessairement à sa physionomie quelque chose de particulier, et c’est une autre façon de se maniérer que de porter des souliers lacés, des gants verts et des cols guillotinant les oreilles.
Depuis quelques temps, cette affectation s’est introduite parmi les poètes, les peintres et les musiciens de ressembler autant que possible à des maires de campagne ou à des éleveurs de bestiaux. Nous n’avons aucun mépris pour ces estimables classes de la société, mais nous les trouvons d’un aspect beaucoup trop placide et débonnaire pour remuer vivement l’imagination. Il y a une autre manie non moins ennuyeuse, c’est de jouer d’un instrument quelconque les bras collés au corps avec la face morte et des yeux de poisson cuit. L’on compte sur le contraste, mais souvent on se trompe, et l’ennui est le seul résultat obtenu.
Ce que nous aimons dans Frantz Liszt, c’est que c’est toujours le même artiste ardent, échevelé, fougueux, emporté à travers les steppes des triples croches par un piano sans frein. S’il tombe, c’est pour se relever roi ! En un mot, il est romantique. Ses cheveux à peine rognés d’un doigt sont encore assez extravagants… Son attitude bizarre traduit le Bohème. Il ne faut pas s’y tromper, en coupant ses cheveux ou sa moustache, on coupe une portion de son talent. Cette concession faite au sentiment bourgeois de l’époque, se répète dans votre art, et vous ôtez bientôt à la fantaisie de votre style, ce que vous retranchez à la fantaisie de votre costume.
Les années d’expérience n’ont pas rendu Liszt plus sage. Il n’a pas écouté les conseils des critiques « éclairés » qui lui insinuaient bénignement de se défaire de toutes ses qualités, et nous l’avons retrouvé tel que nous l’avions entendu, peut-être plus étonnant encore. Le Lac, les Mélodies hongroises, le Roi des Aulnes, le Galop chromatique, ont excité le plus vif enthousiasme ; il est impossible de donner avec des mots l’idée d’une pareille exécution… C’est une prestesse inouïe, une agilité éblouissante ; l’œil ne peut suivre la main qui disparaît dans sa propre rapidité. Et quelle beauté de son, quelle justesse de rythme, même dans les galops les plus effrénés ! Liszt a le don de faire circuler librement l’inspiration à travers des difficultés effroyables qui semblent aisées à tout le monde, quand c’est lui qui les exécute… »
La Presse du 3 juin 1844 - Rentrée de Mlle Taglioni : « Mlle Taglioni a fait hier samedi sa rentrée dans la Sylphide. Il fallait être bien sûre de son talent pour oser reparaître, après une si longue absence, sur le théâtre de ses anciens triomphes. Paris est la ville la plus essentiellement oublieuse. Tant que vous êtes là, c’est bien. Vous partez : bonsoir ! Paris, au fond, garde quelque rancune aux gloires qui s’en vont, et qui préfèrent les guinées d’Angleterre et les roubles de Russie à ses applaudissements…
Il est vrai que Paris se venge en inventant tout de suite une autre célébrité ; il prend la première venue, l’illumine d’un regard, et l’on ne songe pas plus à la gloire partie en chaise de poste que si elle n’avait jamais existé. Ce n’est pas là le cas de Mlle Taglioni : jamais on n’a plus parlé d’elle que pendant son absence ; car Mlle Taglioni, ce n’était pas une danseuse, c’était la danse même : elle ne courait pas le risque de l’oubli, mais du trop de mémoire.
L’éloignement a cela de particulier que, peu à peu, l’image de la personne absente se poétise, les lignes de son visage se troublent dans l’esprit, et se rapprochent de plus en plus de l’idéal que chacun porte dans son cœur. Quand la personne revient, elle n’a pas changé, mais elle ne ressemble plus au souvenir que vous vous étiez formé. Aussi les revenants ont-ils peu de succès en France. Nous avons tremblé un instant pour Mlle Taglioni.
Nous nous disions : « Quoi ! Pour quelques représentations, pour une misérable petite poignée de billets de banque, et qu’est-ce que cela aujourd’hui pour une danseuse ? Venir détruire un doux rêve blanc et rose, un nom mythologique, permettre d’établir une comparaison avec de plus jeunes rivales, quelle imprudence ! Taglioni c’était la danse, comme Malibran c’était la musique ; l’une, le sourire aux lèvres, les bras harmonieusement étendus, la pointe du pied sur la pointe d’une fleur ; l’autre, un flot de cheveux noirs qui se déroule, une joue pâle appuyée sur une main diaphane, une harpe qui vibre, un œil lustré par les larmes : deux fées que nous invoquions pour nous inspirer, nous autres romantiques.
Malibran est morte avec toute sa beauté. Taglioni est vivante, et voici qu’elle tente cette terrible épreuve… Ces craintes ont été complètement dissipées au premier pas que Mlle Taglioni a fait sur scène. C’est toujours la même taille élégante et svelte, le même visage doux, spirituel et modeste ; pas une plume n’est tombée de son aile ; pas un cheveu n’a pâli sous sa couronne de fleurs ! Quelle légèreté, quel rythme de mouvement, quelle noblesse de geste, quelle poésie d’attitude et surtout quelle douce mélancolie, quel chaste abandon ! On ne peut rien imaginer de plus fin et de plus coquet que ses poses… »
Théo est bluffé, comme on dirait maintenant. Carlotta Grisi, dont il est amoureux, doit froncer le sourcil ! Ah ! Théo ! En plus de la plastique grecque, il aime la plastique italienne, et les autres également. Finalement, critique artistique, c’était le travail qu’il lui fallait !
Musique et danse espagnoles!
Une femme espagnole ne peut être laide!
Les mariages princiers ont, à toutes les époques, régalé une partie du lectorat des journaux. Théophile Gautier, invité en Espagne pour rendre compte des noces du fils de Louis-Philippe avec l’Infante d’Espagne, enrichit son reportage de détails humoristiques, artistiques, et de ses coups de cœur. Malgré les menaces de complots, la famille royale est arrivée à bon port et Théo envoie son article au journal Le Musée des Familles. Il est publié en décembre 1846 :
« Le lendemain, en passant par la rue del Barquillo, nous entendîmes un fron-fron de guitares et un cliquetis de castagnettes qui semblaient sortir de sous la terre : un groupe de flâneurs, comme il en existe tant à Madrid, stationnait devant une fenêtre basse ; nous demandâmes de quoi il s’agissait. On nous répondit que c’était la répétition des Compassas qui devaient s’exécuter aux jours de fêtes sur la place du Palais, à l’Hôtel de Ville, à la Puerta del Sol et au Prado…
Ils étaient là-dedans une centaine environ, hommes et femmes de la plus belle humeur, se démenant comme des enragés et riant comme des fous : le maître de danse tâchait de régler un peu cette fougue et de contenir la Cachucha (la danse) dans des bornes constitutionnelles…
On avait choisi parmi les femmes, non les plus belles, mais les meilleures danseuses ; cependant une Espagnole, à moins qu’on lui crève les yeux, ne peut être laide, et un visage où brillent ces deux étincelles de jais humide, a toujours des moyens de plaire. Leur toilette était celle d’une répétition ; pourtant l’élégance ne manquait pas. Le plus pauvre jupon, le plus mince fichu prennent sur ces tailles souples et ces bustes bien modelés, une grâce hardie et provocante : les Espagnoles ont des allures si moelleuses et si vives en même temps, un coup d’œil si direct et si furtif à la fois… Vous êtes charmés… Cette séduction, cette grâce, ce je ne sais quoi s’appellent la sal (le sel). On dit d’une personne qu’elle est salada (salée), cet éloge renferme tout.
Les Comparsas sont des échantillons des danses nationales des anciennes provinces d’Espagne, qui s’exécutent aux occasions solennelles, pour célébrer un avènement, un mariage ou une victoire…
Quand nous entrâmes, deux de ces dames étaient en train de se disputer, et ne trouvant pas, sans doute, d’injures assez piquantes, elles avaient retiré leur peigne et s’en donnaient réciproquement de grands coups sur la tête et dans la figure…
Le mariage du Duc de Montpensier et celui de l’Infante fut célébré à dix heures du soir au palais, dans la salle du trône. Le patriarche des Indes officiait… »
Théophile Gautier et le théâtre:
Les artistes coûtent trop cher!!
Feuilleton de la Presse, 7 mars 1841 – Théophile Gautier.
« Voici déjà longtemps que nous n’avons montré notre figure au public à travers le vitrage de cette boutique littéraire qui occupe le rez-de-chaussée des journaux et que l’on nomme feuilleton. Avec cette naïveté dont nous devrions être débarrassé, nous attendions pour parler d’avoir quelque chose à dire, comme si c’était nécessaire le moins du monde.
L’hiver dramatique est réellement d’une pauvreté désespérante, les théâtres ferment ou font banqueroute ; ceux qui restent ouverts sont dans la situation la plus déplorable, et cependant la somme dépensée en spectacles par le public est à peu près toujours la même ; des succès éclatants et productifs ne sauvent pas toujours une direction. D’où vient cela ? Des appointements énormes payés aux acteurs, appointements qui rappellent les folies de la décadence romaine où les salaires des acteurs atteignaient des sommes fabuleuses.
Aucun acteur, même le plus excellent dans son art, ne devrait être payé plus d’une vingtaine de mille francs (40000€) ; et il n’est pas aujourd’hui de mince grimacier de vaudeville qui ne perçoive une somme plus considérable. Nous ne parlerons pas ici des chanteurs qui sont plus rétribués que deux ou trois ministres et autant de généraux.
Sous prétexte de carnaval, l’on présente d’ignobles parades ; parce que quelques douzaines de Débardeurs et de Pierrettes se promènent dans les rues et dansent la cachucha dans les bals publics, est-ce une raison de trouver amusantes et spirituelles les plaisanteries les plus rebutantes et les plus grossières ? Cette joie de convention, ces cris, ces hurlements nous paraissent horriblement lugubres.
En ce mois de février, les bals masqués ont fait tort aux représentations. L’on n’a donné que onze pièces nouvelles en quatre semaines, et quelles pièces ! Maintenant que le carême ramène avec lui les plaisirs honnêtes et tranquilles, jetons pour en finir une pincée de cendre au front de tous ces vaudevilles :
A la Porte-Saint-Martin, le Gamin de Londres, autre fils de ce Japhet à la recherche d’un père, que l’océan puisse l’engloutir ! Pauline, ou le Châtiment d’une mère, drame éminemment moral mais éminemment ennuyeux. Les Jours gras aux Enfers, divertissement diabolique. On prépare le Perruquier de l’Empereur, qui subit en ce moment l’encre rouge et les ciseaux de la censure. Il nous semble que dame Censure devient aussi susceptible, pour le moins, que du temps de la restauration. C’est pourtant un excellent moyen pour qu’une allusion passe inaperçue et qu’une pièce ne fasse aucun bruit, que de rendre le manuscrit intact et de laisser jouer la pièce librement… »
Les bourgeois s'ennuient au milieu des arbres!
Théophile Gautier – Feuilleton du Moniteur Universel, 7 juillet 1862.
Revue dramatique. Théâtre-Français : le Mariage de Figaro : « La saison qu’on est convenu d’appeler l’été s’est enfin déclarée à Paris ; il fait un jour une chaleur lourde et il pleut l’autre, mais cela suffit pour que les théâtres, qui, au contraire, devraient redoubler d’efforts, ne donnent plus de pièces ou se livrent à des reprises insignifiantes.
Les Parisiens, les affaires de la journée finies, se sauvent dans toutes les directions sur les ailes des chemins de fer et passent leurs soirées dans les villas et les cottages qui forment à la grande ville une verdoyante ceinture ; mais les Parisiens ne sont pas si pittoresques, si campagnards et si amateurs de la nature que cela ; ils s’ennuient au milieu des fleurs et des arbres, et, quand ils ont fumé deux ou trois cigares, lu la Presse ou la Patrie, regardé les images d’un journal illustré, poussé les billes sur le tapis vert d’un billard, adressé quelques galanteries banales aux femmes qui font de la tapisserie ou du crochet près de la lampe, essayé quelques motifs de piano, contemplé du haut du perron la lune montante derrière les feuillages, ils remarquent avec effroi qu’il est à peine neuf heures et demie, et ils ne savent plus que faire de leur personne ; ils ont beau quitter les sofas trop confortables, marcher ou se tenir debout contre la cheminée, un bâillement disgracieux déboîte les os de leurs mâchoires. Ils dorment les yeux ouverts comme des somnambules, et, quand onze heures sonnent, ils gagnent leur lit en chancelant, et rêvent déjà avant d’être déshabillés.
Oh ! si l’on jouait quelque part une pièce nouvelle intéressante, bien écrite ou même mal écrite, mais curieuse à quelque point de vue, soit par un acteur, soit par un décor à effet, comme ils y courraient ! Comme ils laisseraient les belles de nuit s’épanouir toutes seules et le rossignol chanter ! Comme ils s’arracheraient joyeusement à ces délices champêtres qu’ils sont incapables de comprendre et qui d’ailleurs sont si peu dans la nature française ! Vous les verriez garnir l’orchestre, les galeries et les loges, tout en gémissant sur la chaleur sénégambienne et en déclamant contre l’usage absurde de s’entasser ainsi dans des salles de spectacle à l’atmosphère viciée, infectée, surchauffée de gaz, au lieu de rester chez soi à respirer l’air si pur de la campagne.
Quant aux femmes, elles ne demandent pas mieux que de montrer leurs fraîches toilettes d’été, si légères, si transparentes, si aériennes, mousselines, gazes, rubans, fleurs, qui ne sont admirées que par les rares hôtes de la maison. L’éventail rafraîchit aussi bien que la brise nocturne, et il donne lieu à un charmant manège et à de gracieuses poses. Les bouquets sont plus odorants sur le rebord d’une loge que dans les plates-bandes d’un jardin. Telle est, nous l’avançons sans crainte d’être démenti, l’opinion intime des Parisiennes…
Au Théâtre-Français, un acteur intelligent, mais qu’il fallait aller chercher dans l’ombre discrète du second ou du troisième plan, vient de se mettre en pleine lumière et d’y montrer les qualités les plus rares ; nous voulons parler de Coquelin qui a débuté l’autre semaine dans le Mariage de Figaro. Cela a été pour tout le monde une surprise ; eh, quoi ! Figaro, ce rôle si difficile, si complexe, qui exige le sang-froid d’un diplomate, l’esprit d’un démon, la souplesse d’un clown ; Figaro, ce paradoxe étincelant, cette verve endiablée, cette imagination inépuisable, cette raillerie à flèches barbelées, cette impertinence toujours sûre d’elle-même et qui ne reste jamais à court, tout cela rendu par Coquelin, un novice, presque un inconnu ! Cependant ce jeune homme condamné naguère aux utilités, a très bien joué Figaro. Pourquoi ? parce qu’il est jeune, parce qu’il est spirituel, parce qu’il est alerte, qu’il a envie de percer, de se faire sa place au soleil et de garder pour lui la femme qu’il aime… Et puis, il faut bien le dire, ce coquin de Figaro est un révolutionnaire ; il a vu la comédie du monde et il en a sifflé les acteurs. La sottise, même dorée et titrée, ne lui inspire aucun respect. Honnête au fond, quoique peu scrupuleux, il apporte au milieu d’une société vieillie et satisfaite les audaces, les révoltes et les aspirations de la jeunesse… »